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DICTATURE

Il est utile de se référer à la définition historique du terme « dictature » pour comprendre ce que Karl Marx entendait par « dictature du prolétariat », comme pour aborder le sujet avec la rigueur nécessaire à dissiper en premier lieu toute confusion sémantique.
Dans le contexte de l’Empire romain, l’on appelait dictature (dictatura) un régime absolutiste d’exception, instauré pour une durée limitée, durée au cours de laquelle le souverain pouvait se voir confier les pleins pouvoirs, qu’il devait ensuite abandonner au terme d’une mission, lorsque celle-ci serait accomplie, ou lorsque les conditions à l’origine des troubles se trouveraient conjurées. Il s’agissait d’un recours que l’État pouvait se donner à lui-même pour résoudre une situation de crise intérieure, politique, ou bien en cas de guerre.
Tout régime qui perpétuerait cet état de gouvernance au-delà d’une période de six mois (comme ce fut le cas de Jules César) ou après la résolution des troubles (l’exemple bien connu de l’URSS) dévoierait en réalité la fonction légitime et légale de la dictature.
Le terme de totalitarisme, dont la définition demeure flottante en dépit de l’abondante littérature produite à son sujet, permet partiellement de recouvrir la réalité de ces régimes.
Hannah Arendt nous fait savoir dans Les Origines du Totalitarisme (1951) que tout régime autoritaire n’est pas nécessairement de nature totalitaire. Elle s’appuie sur un certain nombre d’éléments (en premier lieu le camp de concentration, cause nécessaire mais insuffisante, le parti unique ou l’État policier) en l’absence desquels la caractérisation de totalitarisme n’est pas applicable. Ce qu’il faut retenir du totalitarisme, c’est avant tout le fondement anthropologique sur lequel il s’appuie, celui d’une masse d’individus isolés, atomisés, désubjectivés et dépolitisés, s’abandonnant tout entiers à l’autorité de l’État et abdiquant leur principe de responsabilité. Si ce modèle anthropologique, conséquence historique du développement du capitalisme industriel et de l’entrée dans la modernité, semble connaître son apogée dans les sociétés humaines avancées, les sciences politiques demeurent prudentes à qualifier de totalitaires la plupart des régimes autoritaires ayant cours dans le monde.
Un régime qui n’est pas totalitaire n’est pas pour autant démocratique. Par ailleurs, si nous devions nous appuyer strictement sur la terminologie romaine, aucun système politique ni aucun pays dans le monde ne pourrait être qualifié de dictature. En revanche, personne n’oserait dire sérieusement dans aucun contexte que les dictatures n’existent pas.
S’il n’est pas pertinent par exemple, de qualifier la Russie de Poutine ou l’Iran des Mollahs de pays totalitaires, dans la mesure où y survivent certaines institutions légales et où des élections opposant plusieurs partis y ont lieu régulièrement, ces pays ne peuvent pas pour autant être qualifiés de démocraties.
Il paraît difficile d’accoler au terme de « démocratie » une épithète comme « autoritaire », « illibérale » ou « plébiscitaire » tel qu’on l’entend parfois, notamment chez ceux qui tendraient à nuancer le caractère non-démocratique de ces régimes, de même que le signifiant « laïcité » perd immédiatement son sens lorsque l’on lui adjoint les adjectifs « inclusive » ou « exigeante ». Qui, après tout, songerait à parler de « dictature ouverte », de « dictature libre » ou de « dictature éclairée »  ?
Par conséquent, bien que ces deux types de régimes connaissent plusieurs variantes et plusieurs formes selon les normes historiques et les cultures nationales des pays concernés, l’on ne peut qu’en déduire qu’il n’y a rien entre les dictatures et les démocraties.
Les concepts hybrides d’ « oligarchie libérale » ou de « libéralisme autoritaire », inventés par les sciences sociales pour creuser artificiellement un espace d’analyse entre les deux types de régime, se signalent avant tout par leur relativisme et leur absence de rigueur.
Le principe aristotélicien de non-contradiction, au fondement de la logique formelle, nous interdit de parler de « démocrature » (« dictature démocratique » ou « démocratie dictatoriale » ). Nous partirons donc du postulat qu’il n’existe dans le monde que des démocraties et des dictatures. 
C’est donc dans son acception courante, moderne, celle communément acceptée par tous, que nous allons employer ici le terme de dictature : celle utilisée pour qualifier un régime qui n’est pas de nature démocratique, ou dont le fonctionnement est contraire à la démocratie.
S’il n’existe pas une frontière absolument étanche entre les deux régimes - la dictature et la démocratie, nous pouvons nous baser sur l’examen d’un faisceau d’indices pour établir la distinction. 
Nous avons établi dans un précédent article les raisons de douter que la France est actuellement une démocratie. Peut-on pour autant la qualifier de dictature ?
J’insiste sur le fait qu’il va falloir trancher.
Pour ce faire, nous allons examiner les points suivants afin de comparer rationnellement les deux types de gouvernance.
Dans les démocraties, les contre-pouvoirs sont indépendants. La presse est indépendante. La justice est neutre. Les fonctionnaires sont inéligibles. Des dizaines de professions, ouvriers, commerçants, artisans, chefs d’entreprise, salariés ou travailleurs indépendants, sont représentées au parlement, montrant le corps social dans toute sa complexité et sa diversité, afin que les citoyens puissent débattre en profondeur par la voix de leurs représentants sur des problématiques complexes et multifactorielles.
Le principe supérieur et intangible d’égalité de tous les citoyens devant la loi est respecté, tout comme l’égale dignité de tous les citoyens est imprescriptible.
Cette aspiration à l’égalité se traduit par l’exigence d’un système d’instruction publique procurant à tous les citoyens un niveau de connaissance élémentaire, permettant de comprendre les enjeux fondamentaux de la nation et de s’en expliquer les prémisses. Dans une démocratie, chaque citoyen, sauf handicap cognitif reconnu et pris en charge par la collectivité, sait lire, écrire, compter correctement, maîtrise les rudiments de la logique, de la raison, de la syntaxe et des mathématiques appliquées. Cela implique de la part des élites une volonté d’élévation du niveau de conscience générale de la population, quitte à devoir assumer les risques de contestation et de remise en cause de l’ordre établi qui pourraient être induits par la montée en puissance de l’esprit critique et des capacités d’analyse de chacun.
Cela implique par conséquent de regarder le peuple non comme une masse homogène et indifférenciée, ni comme la somme de l’addition d’individualités par essence inégales, mais de le reconnaître comme un ensemble politique constitué de citoyens conscients d’eux-mêmes et des enjeux collectifs, dont les aspirations sont également légitimes, et dont chacune des voix s’exprime de manière lucide et éclairée. Par conséquent, lorsque des élections ont lieu et que le peuple souverain formule une volonté, même contraire à celle de ses dirigeants, cette aspiration est entendue et respectée. 
Dans les dictatures, les contre-pouvoirs sont placés dans une situation de dépendance et de vassalité face à l’État, quand ils n’en sont pas simplement les relais. Les médias sont financés par la puissance publique, ou par des actionnaires en lien direct avec l’État, eux-mêmes bénéficiaires de subventions étatiques. L’intégralité des journaux, de droite comme de gauche, recopient à l’identique les mêmes dépêches produites par les agences gouvernementales de production de l’information.
Les magistrats sont syndiqués, politisés, et distribuent ouvertement des consignes de vote à chaque élection. Les syndicats eux-mêmes sont financés directement par l’État, dans le but d’encadrer les mouvements sociaux, afin d’en évacuer les éléments séditieux, de contrôler et d’orienter les réclamations de la foule.
Lorsque le peuple sort dans la rue, c’est entouré de syndicats et de flics, dans un périmètre autorisé par l’État, et au nom de revendications validées par l’État. Si ces demandes restent dans le cadre autorisé, on les laisse se défouler et tout casser dans la rue, comme dans le quart d’heure de haine décrit par Georges Orwell dans 1984. Lorsque ces revendications excèdent le cadre autorisé, les manifestants sont tabassés, éborgnés, mutilés par la police sur ordre du gouvernement.
Le parlement est quasi-intégralement composé de fonctionnaires, ou bien de représentants officiels de telle ou telle profession auprès de l’État. Tous ou presque sont issus de classes sociales élevées, parce que les privilèges sociaux sont admis comme héréditaires. Lorsque ce n’est pas le cas, l’on assiste parfois au triste spectacle d’un doux débile, censé incarner les classes populaires, s’humiliant lui-même à ânonner son discours en remuant les lèvres, un index hésitant parcourant les lignes d’une feuille de papier qu’il déchiffre à grand-peine, sous le regard condescendant d’apparatchiks plus éduqués qui l’ont pris sous leur aile.
Parce que dans les dictatures, afin de pérenniser et de graver dans le marbre sa domination sur le peuple, l’élite s’arrange, par le truchement de son système éducatif débilitant et dysfonctionnel, pour qu’une part non négligeable de la population à l’âge adulte ait des difficultés de lecture, ou bien ne sache tout simplement pas lire.
Dans les dictatures en effet, il n’existe pas de notion de mérite. Seuls les plus stupides et les plus incompétents obtiennent les meilleures places, afin de dissuader et de décourager les autres de s’élever socialement par le travail. Ainsi, les structures sociales et les hiérarchies sont maintenues, pour le plus grand bonheur des classes dominantes.
Dans les démocraties, toutes les tendances politiques ont droit de cité, et jouissent d’une égale légitimité. L’expression plurielle de la voix du peuple est par essence respectée. La politique est reconnue comme un terrain conflictuel, et les conflits sont médiatisés, par le dialogue, par la négociation, par le compromis civilisé.
Dans les dictatures, il y a les bons et les méchants partis, les bons et les mauvais citoyens, les demandes légitimes et les aspirations honteuses.
Dans les démocraties, la droite et la gauche s’opposent sur des clivages clairement définis, et les citoyens peuvent, en leur âme et conscience, après avoir été correctement informés, faire un choix.
Dans les dictatures, les différences entre les diverses formations politiques sont de l’ordre de la simulation. Le parti au pouvoir est l’incarnation politicienne de la bureaucratie d’État, en général la forme partitaire que s’est donnée à elle-même la haute fonction administrative. Les partis concurrents, de droite comme de gauche, ne sont que des satellites du pouvoir. Lorsqu’un parti se détache du bloc central, s’il est autorisé à se présenter aux élections, alors tous les partis, de droite comme de gauche, s’entendent pour se coaliser contre lui, c’est-à dire, par conséquence logique, en faveur du pouvoir central.
Dans les dictatures, il n’y a donc effectivement qu’un seul et même parti de gouvernement, avec ses composantes différenciées mais toujours prêtes à s’allier, et un parti d’opposition qui est désigné par la puissance publique comme un ennemi de l’intérieur.
En effet, si dans les démocraties, l’opposition est qualifiée d’adversaire politique, dans les dictatures, elle est vue comme l’ennemi à abattre, circonscrire et à éliminer, comme une menace contre les institutions.
En démocratie, on négocie avec l’opposition, surtout lorsqu’elle porte sur des enjeux existentiels, tels que l’immigration, l’avenir du travail, la santé, la souveraineté, la guerre ou l’identité nationale. En dictature, on la diabolise.
Dans les dictatures, on fait « barrage » contre l’opposition. On diligente des enquêtes sur l’opposition. On braque les médias centraux contre l’opposition. On fait défiler les enfants dans la rue contre l’opposition. On fanatise la rue contre l’opposition, en mobilisant des affects troublés et en convoquant un registre émotionnel incandescent et hystérique, afin de répandre et d’installer la peur dans les esprits. Pour semer la terreur, on parle de « rappel des heures sombres » ou de « retour des années 30 » pour évoquer la perspective de l’arrivée des opposants au pouvoir. Vladimir Poutine, par exemple, parle tous les jours de « dénazifier » l’Ukraine pour justifier son invasion.
En démocratie, on a confiance dans le peuple, dans son intelligence politique, dans sa faculté de jugement et dans son bon sens.
Dans les dictatures, comme on a détruit sciemment et volontairement tout repère symbolique et toute structure égalitaire, en premier lieu l’instruction publique, on se méfie du peuple, on se défie de lui, on le suspecte. On ne parle pas de l’instruire, mais de l’éduquer, voire de le rééduquer.
Lorsque l’on organise des élections, on lui bourre le crâne pour s’assurer qu’il vote bien. Lorsqu’il persiste dans son être et qu’il s’obstine à mal voter, on interprète son vote, on l’amende et on le met à la poubelle. Ou bien encore on le délégitime. On utilise pour cela la violence du mépris social.
Les démocraties se fondent sur la dignité des gens modestes, des travailleurs, en premier lieu des plus fragiles, des plus précaires et des plus pauvres. À l’inverse, les dictatures prospèrent sur leur humiliation.
Dans les dictatures, seuls les gens qui ont des diplômes, qui ont fait des études, qui jouissent d’un capital symbolique, en général adossé à une aisance financière, se sentent légitimes pour juger ce qui est bien ou mal. Les autres, ils n’ont qu’à se taire et voter ce qu’on leur dit de voter.
S’ils votent bien, alors ils sont un prolétariat éclairé, une avant-garde à patronner, à stipendier et à valoriser. S’ils votent mal, alors ce sont des « rougeauds », des « sans-dents », des « sous-diplômés », des « Dupont-Lajoie », des « consanguins », des « sales fachos », et ils n’ont qu’à crever. Ils sont décrits comme manipulés, influencés, lorsqu’ils ne sont pas accusés de pulsions malsaines et ressentimentales, qui justifient de les montrer comme des gens laids, arriérés, méprisables. Méprisables, parce qu’ils ne partagent pas les valeurs de la classe dominante, qui par définition prescrit la morale dominante. 
Dans les démocraties, il n’y a pas de culture dominante, car il n’y a pas de culture d’État. Il y a des cultures nationales, qui s’expriment à travers le respect, l’entretien et la transmission intergénérationnelle du patrimoine artistique, culturel, matériel et immatériel qui transcende l’écume de l’actualité et s’inscrit dans l’Histoire longue. Les artistes s’en inspirent ou non, librement, pour exprimer leur vision en toute intégrité. Des formes nouvelles peuvent apparaître, par volonté ou par accident.
Dans les dictatures, il y a un Ministère qui subventionne une culture d’État, et qui paie de faux artistes à fabriquer de toutes pièces un art d’État, qui n’est qu’un instrument de propagande en faveur de la morale dominante. Ceux que l’on appelle les artistes sont des espèces de fonctionnaires, dont l’activité consiste à prescrire la morale dominante. Ils le font la plupart du temps avec un zèle féroce, et c’est pour cela qu’on les paie. Les véritables artistes qui s’expriment hors des standards de la morale dominante sont marginalisés, ostracisés, ou censurés. 
Dans les démocraties, c’est la censure qui est taboue. La liberté d’expression n’est pas une notion abstraite ou incantatoire mais un principe juridique intangible, dont les seules limites sont la diffamation, la menace ou l’appel à la violence contre des groupes ou des individus. Dans les démocraties, nul ne peut être intimidé, inquiété, condamné ou emprisonné simplement parce qu’il écrit, parce qu’il dessine, ou parce qu’il parle.
Dans les démocraties, l’État a la charge de protéger la liberté d’expression. On n’interdit pas des expositions, on ne brûle pas des livres, on n’assassine pas des dessinateurs en pleine rue.
Dans les dictatures, il n’y a pas de liberté d’expression.
S’il n’y a pas de liberté d’expression, c’est que la distinction entre la fiction et la réalité de l’expérience, entre le vrai et le faux, doit être abolie, ainsi que toute production intellectuelle ou artistique par l’intermédiation de laquelle cette distinction pourrait être interrogée ou bien se faire.
La dictature ne peut perdurer sur temps long que par la destruction de tout ce qui par son message ou par sa seule existence contredit le récit officiel, et pourrait souligner l’incohérence factuelle du réel avec le discours de la classe dominante. C’est pourquoi, dans les dictatures, l’on peut interdire à des gens de s’exprimer ou fermer des chaînes de télévision, en le justifiant souvent de manière très tendancieuse en regard de l’État de droit. 
L’État de droit, c’est d’ailleurs sur ce type d’expression, érigée en totem et vidée de son contenu, que s’appuient les dictatures pour se donner des apparences de légitimité ou de légalité.
Les dictatures se nomment elles-mêmes généralement « République Démocratique » de ceci ou de cela, et justifient la plupart du temps par de grands principes incantatoires et purement déclaratifs les pires horreurs commises par leurs régimes.
Les dictatures enferment leurs opposants « pour protéger la démocratie », interdisent un rassemblement ou un spectacle au nom des « valeurs de la République ».
On y désigne les opposants politiques comme n’étant « pas dans le champ républicain » ou « dangereux pour la démocratie ».
Le traitement des opposants politiques est en effet un critère déterminant pour différencier les démocraties et les dictatures. 
Dans les dictatures, lorsqu’un opposant politique - malgré tout le dispositif mis en œuvre par la puissance de l’État pour intimider, effrayer, décourager le peuple de voter pour lui - parvient à s’approcher d’un peu trop près du pouvoir, on utilise des méthodes radicales et impensables dans les démocraties pour l’empêcher de l’emporter. On fait annuler des élections, on incarcère les opposants, on crée des jurisprudences et on invente des lois sur mesure pour leur interdire de se présenter. On fait pression sur les banques pour entraver leur financement, sur les élus pour gêner la collecte des signatures. On les accule à échafauder des stratagèmes byzantins afin de parvenir à se financer tout de même, tout en les plaçant sous la plus étroite surveillance, et on finit par leur tomber dessus lorsque les instituts de sondage indiquent qu’ils ont une chance de gagner.
Dans les démocraties, on n’élimine pas les opposants politiques. On ne les empoisonne pas, on ne les emprisonne pas, on ne les rend pas inéligibles avec exécution provisoire alors qu’ils sont aux portes du pouvoir.
Enfin dans les dictatures, on s’arrange pour que les citoyens vivent dans une perception idéalisée quant à la puissance, à la prospérité et à l’image que leur pays donne de lui-même dans le concert des nations. Tout est fait pour qu’ils ignorent le déclin économique, moral et civilisationnel dans lequel les enfonce inévitablement la nature du régime sous lequel ils vivent. Les habitants sont maintenus dans une douce anesthésie du champ de leurs intuitions sensibles, de manière à les persuader qu’ils ont une chance inouïe de résider dans leur pays. 
Tout est fait pour qu’ils intériorisent la conviction intime que le reste du monde est un enfer de violence, de pauvreté et d’amoralité, que les populations à l’étranger souffrent en silence de toutes les avanies et meurent de faim dans la rue. Ils croient souvent avoir le meilleur système de santé au monde et un niveau de vie exemplaire que la planète entière leur envie.
Les dictatures se vivent comme un apex de la civilisation, et leurs administrés ignorent à peu près tout de l’image déplorable que les nations alentour se font d’eux, et de l’horreur que leur situation leur inspire. Certaines dictatures se considèrent comme un rempart face à la décadence, d’autres comme la Patrie des Droits de l’Homme.
Incapables de trouver une résolution pérenne et rationnelle à des impasses ou à des aberrations internes qu’elle ne parviennent pas à traiter, les dictatures se signalent par une attitude agressive et belliqueuse à l’égard des autres puissances, qu’elles utilisent comme bouc émissaire afin de distraire le peuple de leur impéritie. Car les dictatures se définissent par leur absence de retour sur soi, et d’examen intérieur de leurs contradictions, ce qui explique la relation pathologique qu’elles entretiennent avec leur Histoire : soit elles s’abîment dans une crispation névrotique sur la rente d’un épisode célébré indéfiniment comme glorieux, soit elles enferment le peuple dans une vision irrationnellement sombre et culpabilisante de leur passé, afin de pouvoir mieux le dominer et l’écraser.
Les démocraties, au contraire, sont tournées vers l’avenir. Mais elles se défient du culte du progrès, comme de son corollaire, l’hégémonie impersonnelle de la technique et du marché. Elles ont conscience que leur seule vraie légitimité se trouve dans le consentement du peuple. C’est pourquoi elles le respectent dans son tempérament, dans son histoire, dans ses particularités, dans sa longue mémoire et dans son identité, grâce à laquelle il peut demeurer lui-même tout en évoluant perpétuellement. Cette identité dynamique permet aux démocraties de se perpétuer à travers les mouvements du temps et d’affronter les tempêtes de l’Histoire, comme de s’inscrire pleinement et à chacune leur manière dans la modernité, tout en se protégeant des effets délétères de la mondialisation sauvage et du capitalisme triomphant.
Les dictatures au contraire, ont horreur du peuple. Elles n’ont de finalité que de devoir se débarrasser de lui pour se survivre. C’est pourquoi elles ont cherché, à toutes les époques et en tout lieu, à créer un homme nouveau. Les dictatures ont toujours œuvré à changer la nature du peuple, par le dressage, par la rééducation ou par tous les moyens offerts par les circonstances historiques, afin de le façonner à leur image, de le conformer à leur volonté, de l’adapter, ou en dernière instance, de l’effacer et de le remplacer.
C’est sans doute pour cette raison que les tyrans finissent mal, car le peuple, privé de tous ses moyens de négociation, de dialogue et de contestation légale par un pouvoir tout entier dirigé contre lui, n’a plus d’autre recours possible que d’accepter sur le long terme de disparaître, ou de se débarrasser de ses dirigeants, généralement par la violence.
J’espère que cette synthèse aura permis au lecteur de faire la part des choses, et d’établir lequel de ces deux régimes s’exerce aujourd’hui sur la France. Il ne m’appartient pas ici de me substituer au jugement de mes lecteurs. Seulement, au bénéfice du doute, je préconise la fuite.